Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 octobre 2011 6 08 /10 /octobre /2011 05:18

S’ouvrant désormais à la France entière et métropolitaine, le Festival du Clap pour sa quatrième édition a proposé cette année douze films dont la qualité générale a stupéfait tout le monde. On éprouve pourtant, par préjugés, quelque appréhension à ce type d’événements : on y va sans trop y croire ; on se dit que l’initiative est trop belle pour être vraiment à la hauteur. On connaît les gosses ou l’on croit les connaître ; on en a été et on pense savoir ce qui prime d’abord : crâner un peu, faire marrer l’assemblée, draguer ou alors se faire mousser en prétendant à de trop hautes ambitions en jouant aux « intellos » ou cinéphiles de service.

Et puis on s’y rend, on s’asseoit, on regarde derrière soi régulièrement les réactions du président du Jury, Robert Guédiguian, et on se demande ce que lui, le grand cinéaste, l’auteur de Marius et Jeannette, du Promeneur Du Champs de Mars et dernièrement des Neiges du Kilimandjaro, va penser de tout cela. Si au fond, le seul cadeau que l’on pourra offrir à ces anciens élèves de première et de Terminale, ce ne sera pas une forme d’indifférence bienveillante pour ces réalisations à quatre sous réalisés aux quatre coins du pays et du globe. Et puis le résultat est là et on peut solliciter tout l’esprit critique dont on est capable, une constatation s’impose : la cuvée 2011 est formidable, dépassant les attentes et le scepticisme blasé des ainés. Si bien que le DVD du Festival en poche, on a qu’une envie : montrer les films, organiser des petites projections chez soi, animer des débats. Parce que les courts présentés cette année interrogent et reflètent le monde. D’une certaine manière, les œuvres des lycéens de cette saison sont à la hauteur d’une année cinéma qui, depuis quelques mois, a prouvé grâce à quelques films absolument extraordinaires que le 7ème art était enfin de nouveau capable de parler du monde dans lequel nous vivons.

Mais avant de regarder de plus près cette sélection, il convient de s’interroger une nouvelle fois sur l’initiative elle-même, sur ce que tente de faire puis réussit depuis quelques années son administratrice : Léa Sanchez. Le Clap offre une visibilité à des films que, justement, on aurait tendance à balayer d’un revers de main comme s’ils s’agissaient simplement d’exercices pédagogiques, d’une ultime activité scolaire pour simplement occuper l’énergie du lycéen. Et de rappeler que le cinéma continue encore d’être considéré comme un art inaccessible et, de ce fait, sans intérêt ou peu crédible, tout juste bon à exciter l’imagination des « têtes en l’air ». Or Léa Sanchez croit à ses films et a raison de rappeler dans le préambule de son catalogue que Thierry Frémaux, délégué général du festival de Cannes, avait reconnu ce que le cinéma français « doit aux collèges et aux lycées où des professeurs motivés arrivent à produire des films, le plus souvent avec des moyens dérisoires ». Arthur, le jeune et brillant présentateur, donne le ton avec humour et pertinance.Il est "raccord" avec l'esprit du Festival. Bonne pioche!

Et c’est d’abord cela qui détonne dès le premier filmClap-prix-interpretation.jpg, hors compétition : «  Bus n°20 » réalisé par Nadim Messili dans le cadre du lycée français de Beyrouth. L’ingéniosité avec laquelle le jeune cinéaste et son équipe s’affranchissent de toutes contraintes pour produire l’imagerie qui les fascine et les a conduit à réaliser ce film de guerre sur leurs angoisses lors du conflit de Juillet 2006 contre Israël. Bus n°20 est ainsi baigné de son imaginaire hollywoodien, avec ses codes dramaturgiques, ses scènes d’action récurrentes, son flashback inaugural ultra dramatique. Avec leurs ordinateurs, pendant trois ans, ils ont ainsi façonné des explosions, des effets spéciaux et mis en scène plusieurs figurants.  Mais le film contient instinctivement tout ce qui fait le sel de ce type de cinéma : la coexistence de l’intime et du spectaculaire, le renvoi permanent de l’expérience individuelle au collectif.

Aujourd’hui Nadim vient d’achever sa première année d’études cinématographiques à l’Académie Libanaise des Beaux Arts. Son premier film a été vendu à mille exemplaires et relayé par quelques médias. Bref, il est engagé dans son parcours, sa vocation. Parmi les membres du jury, aux cotés de Amalia Escriva réalisatrice issue de la FEMIS et de Franck Vermandere, professeur certifié de Lettres Modernes, la présence de deux jeunes étudiantes issues de l’Institut des 3 IS. Etaient ainsi invités les directeurs des écoles Louis Lumière, La FEMIS et des 3IS, donc, partenaire de l’événement mais aussi des cours Florent. Ils ont chacun à leur tour évoqué la spécificité de leurs enseignements, la diversité des métiers, sans manquer de rappeler les difficultés futures rencontrées à la sortie de leurs établissements par ceux qui choisiraient de s’aventurer dans une filière cinéma.

Ce souci au réel, débarrassé de naïveté, imprègne la plupart des douze films. Ils représentent ensemble un panel aussi éclectique que la production du cinéma français : allant du réalisme psychologique à la comédie romantique en passant par le film cérébral, le pastiche ou l’œuvre maniérée. Pour chaque œuvre, le désir en permanence de faire sens, de raconter et de dire vite quelque chose du monde. « Le Bonheur est Aveugle » épouse la forme d’une fable programmatique dont tout le sens est contenu dans son titre explicite. L’Impromptue fait écho, par le biais du mélodrame, à l’impasse sociale décrite dans Les Bonnes de Genet. « Copeaurillon » singe Cendrillon pour évoquer le sexisme au travail. « Un Hold Up » choisit une voie onirique pour faire le constat d’une certaine solitude urbaine. « Un Jour Je Viendrai » mime les grandes comédies romantiques américaines et françaises (on pense notamment à Pierre Salvadori) pour raconter les préjugés sociaux entre deux individus de pays différents.

On remarque également un éclatement des références. « L’Envol » se sert d’images et de photos volées sur internet (on voit le sigle Divix sous quelques photogrammes) pour narrer l’imaginaire d’un ado sur le point de faire son baptême de l’air. On navigue de Casablanca à Valse Avec Bashir sur fond de Massive Attack. Le film réussit à balayer tous les spectres d’une culture protéiforme qui désormais forme l’imagerie moderne. Elle s’insère tout naturellement à une forme de narration nonchalante où un aubergiste et un pilote, tous deux, âgés racontent leur vie et leur expérience. Ce petit bijou réalisé par les élèves de 1re L1 du Lycée Jean François Millet de Cherbourg tient donc parfaitement son sujet : confrontation du rêve à la réalité, regard extatique et amusé d’un gamin face à un adulte qui parle sans vraiment se faire comprendre. Et au milieu de ces innombrables influences qui façonnent désormais nos rêves : la vision enchantée du monde vue du ciel.

Il semblerait, à lire les compte rendus chaque année du festival, que l’exercice du film muet fascine les élèves et leurs enseignants. Rêve d’une expression visuelle pure où l’on pourrait totalement raconter le monde avec des images. Mais aussi peut être, pour certains, une manière de palier aux défauts d’interprétation à la française alors qu’on est plus habitué au cinéma américain. Il est intéressant de noter donc qu’il y eut deux films muets cette année, quelques semaines avant la sortie de The Artist de Michel Azavanicius, hommage aux grands mélos de Borzage et Murnau. D’une certaine façon, Félix souffre un peu du même défaut que le film avec Jean Dujardin. Une façon, à force de vouloir éviter la simple parodie, de rester trop éloigné de son sujet, trop distancié. Si bien que l’émotion ne prend pas. Félix se cherche dans la continuité des grands héros burlesques, de Keaton à Linder, en passant par Chaplin et Harold Loyd. Le jeune acteur s’en donne à cœur joie et on peut féliciter les élèves d’avoir réussi à comprendre comment diriger le timing de la pantomime de leurs comédiens.

« Sur Le Quai » se veut moins un hommage, parce que muet, aux films des années 20 qu’un poème visuel éloquent. S’il fallait chercher une référence d’ailleurs, ce serait plutôt du coté des grands picturaux modernes européens tels Théo Angelopoulos ou Nuri Bilge Ceylan. Évocation donc tout en images et sans dialogues de l’attente d’une femme sur le quai abandonné d’une gare. Avec sa reconstitution d’une image passéiste, ses cadrages savants et superbes, son rapport très moderne au temps, Sur Le Quai était à la fois un des plus beaux moments du Festival mais également l’un des seuls films à rêver de plasticité. Ce qui est aussi l’un des cas de « L’Impromptue » qui se désire en grand film institutionnel du dimanche, baigné lui aussi de références éparses entre le cinéma maniéré d’un De Palma et d’un Aronofosky mais aussi de Bergman. Le film peine un peu à se détacher de ses références et surtout de sa littéralité un peu cérébrale. Ses prétentions se font sans cesse ressentir jusqu’à ce que survienne le final, déchirant bien que convenu. La jeune Anais LESAGE du lycée Rotrou de DREUX a reçu très justement un prix d’interprétation remis par le Cours Florent et lui permettant d’effectuer un stage dans la fameuse école de formation de comédiens.

Deux films ont été couronnés : malgré ses deux minutes, « Pourquoi On Déménage » du lycée Paul Duez de Cambrai a été récompensé d’un prix spécial inventé pour l’occasion par le jury de Robert Guédiguian. Il s’agit d’une suite de dessins, assortis de bruitages, et racontant de manière aussi elliptique qu’efficace la journée d’une petite rom la veille de son expulsion. Sans mots encore, sans tourner autour de son sujet, ce film de dessins sans animation  a véhiculé avec une force implacable toute l’humanité et l’absurdité du sort réservé aux sans papiers.

Trois sans papiers sont les héros de « Night Football, » film qui a été plébiscité à la fois par le jury et le public. Son dispositif est très simple : en un long plan fixe, on suit l’interview fictive de jeunes footballeurs d’origine africaine qui rêvent d’être intégrés au centre de formation du PSG. La qualité de ce long plan séquence permet de s’interroger sur la validité de ce qui est raconté. Le film a t-il oui ou non était écrit ? Une question qui sera posée d’ailleurs à Elisabeth Hammas, l’une des enseignantes lors de la remise des prix. Le film oscille entre écriture et impro, ses trois comédiens s’en donnant à cœur joie pour raconter le parcours de leurs personnages depuis l’Afrique jusque chez eux. Le plan est alterné de quelques images où l’on les voit en train de s’entraîner. La réflexivité de ces plans, ballon aux pieds, avec leurs discours renforce l’impression de nécessité et d’urgence. Jusqu’à ce qu’au final, les parcours divergent, quand les rêves des uns s’écroulent et que ceux des autres se réalisent. Le film ne porte pas de jugement mais donne à penser, à partir de biographies et donc d’un vécu fictif, le sort de trois gosses qui pourraient être nos voisins. Sans affèteries aucune, porté par l’urgence de son sujet, le film table exclusivement sur l’humain.

Robert Guédiguian rappelait combien il avait ri durant cette matinée. La plupart des films, même ceux en apparence les plus graves ou les mieux confrontés au réel, dispensent toujours un peu d’humour ou de légèreté. C’est une bonne nouvelle quand on songe que le cinéma français ne sait plus depuis quelque temps comment rythmer ses comédies où les chutes sont mal amenées ou alors débitées à un rythme infernal qui devient normalité et donc peu drôle. Night Football provoqua pas mal d’enthousiasme pendant sa projection à écouter comment ces trois gamins ont été recrutés. La manière de décrire leur étonnement, leur stupéfaction d’avoir un jour été choisi pour pouvoir aller tenter leur chance en France. El Salto Mortal, film parvenu depuis Mayotte, était d’ailleurs en soi une petite plaisanterie avec, comme dans tout bon film, un vrai climax spectaculaire.

On notera donc une tendance aux films à se rendre utiles, à devoir agir par le biais de tous les genres. Cette harmonie trouvée entre le drame, la comédie et le commentaire social fait directement écho à cette fragmentation des références culturelles dont nous parlions à propos de L’Envol. Les films épousent tous cette année la construction fabuliste avec son exposition puis son dénouement abrupt, semblable aux canons de la nouvelle, qui dispense sa morale. Mêler chaque moyen, chaque imagerie, sans ne plus établir de hiérarchie. Démocratisation des imaginaires au service d’un discours. Une excellente nouvelle. Une excellente cuvée.

Photos Emmanuel Perret (polaroids)

Partager cet article
Repost0

commentaires