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27 janvier 2014 1 27 /01 /janvier /2014 18:44

benzacar-joseph.jpg

 

Le 22 janvier, j’étais au Musée d’Aquitaine à Bordeaux pour assister brièvement au colloque sur les persécutions antisémites en France en 43-44.

J’y ai découvert deux hommes merveilleux et la honte d’être juriste.

 

Le premier de ces Hommes merveilleux s’appelle Joseph Benzacar. Oh inutile de chercher son nom sur une place de Bordeaux ! Ce privilège semble réservé aux collaborateurs de Vichy notoires comme Adrien Marquet ou Robert Poplawski.

 

Joseph Benzacar a 80 ans en 1942. Il vit à Bordeaux où sa famille réside depuis 1781, jouit d’une réputation de grand juriste et économiste et a fait partie pendant 15 ans du conseil municipal de la ville. Autant dire qu’il ne craint rien, même juif.

Sauf que...

 

À partir de 1940 les persécutions vont aller crescendo jusqu’à l’élimination physique du vieillard dans le cadre de la Shoah.

 

Ça commence par la double déchéance des mandats de Conseiller Municipal et de membre du corps enseignant. Viennent ensuite les confiscations du compte bancaire et la réquisition de son domicile, livres et meubles.

 

« je suis devenu un français de catégorie inférieure. » Il aurait pu faire valoir les services rendus à l’Université entre autres, il refuse « je n’ai fait que mon devoir » La lettre qu’il envoie au Maire Adrien Marquet, est exemplaire de dignité mais pas exempte d’amertume. (reproduite en annexe)

 

À partir de 1944 les choses vont aller très vite. Ses amis le poussent à s’enfuir. Il continue à ne pas croire à l’impensable. Malgré son état, il est emporté de son lit d’hôpital avec 3 membres de sa famille en février 44, et envoyé à Auschwitz où il est assassiné le 25 mai 1944, quelques jours avant le débarquement en Normandie.

 

L’autre homme merveilleux est connu c’est Boris Cyrulnik

 

Personnellement je le découvre. C’est un bel homme, ce qui frappe c’est sa carrure et la douceur de sa voix. Son humour aussi.

 

 En arrivant il a trouvé que  la Synagogue de Bordeaux était belle. Dans son souvenir, elle était rouge.

 Très vite nous sommes transportés 70 ans en arrière. Boris se représente l’enfant de 6 ans et demi qu’il était. Il dit se rappeler les hommes venus arrêter sa famille la nuit. Ils portaient des lunettes noires.. Certains tentent de le sauver « si vous le laissez vivre, on ne lui dira pas qu’il est juif »

 

Après de nombreuses péripéties, Boris se cache dans les toilettes de la synagogue puis est sauvé par une infirmière qui le glisse sous le matelas d’une mourante Madame Gilberte Blanché. Celle-ci est emportée « qu’elle crève ici ou ailleurs, l’important c’est qu’elle crève » dixit un officier allemand.

 

La suite c’est la solitude, le sentiment qu’on est dangereux quand on est juif. Le silence qui dure 40 ans . « Ça m’a rendu complètement psychiatre »

rires dans la salle.

 

Pourquoi ce silence ?

«  le déni est culturel, beaucoup ne croient pas. Imaginez : on est à table en famille, pourquoi mettre l’HORREUR dans la tête des gens que j’aime »

 

Hélas si le déni est une protection c’est aussi une amputation.

« Si on se tait on transmet L’ANGOISSE » Pendant longtemps pourtant Boris a pensé « il faudra un jour que je raconte » Le silence indique toujours quelque chose de grave. Ce sont les petits-enfants qui auront la force de poser des questions, pas les fils et filles de rescapés.

 

Participent à cette table ronde Jacques Blanché, le fils de Madame Gilberte Blanché  et Jean-Claude Monzie, fils d’un instituteur de Camarsac où Boris est caché quelque temps. « Moi aussi, j’avais une maman » dit le petit Boris en voyant Jean-Claude s’asseoir sur les genoux de sa mère. Les enfants de l’école remarquent que le rideau de l’appartement de l’instituteur bouge. « Il y a quelqu’un chez toi ? » Quelques anecdotes qui émaillent le récit.

 

Au musée d’Aquitaine, la salle est comble et l’attention palpable. Les témoignages sont forcément émouvants. La parole est à Untel dont la famille habite Bordeaux sur le trajet des convois. Il a mis 70 ans pour comprendre les arrestations et demande pardon pour l'inertie de sa famille.

Toutes les interventions témoignent de cet horrible silence des rescapés. Une dame en particulier qui n’a pas réussi à recueillir le récit de son père, et dont la voix se noie dans les larmes.

 « Si je suis là, poursuit Boris, c’est que d’autres sont morts pour moi. » Ils sont les Héritiers, la mission de reconstruire la vie des parents n’est pas facile.

 

Ce qui frappe c’est la faculté de Boris Cyrulnik de s’abstraire de son histoire personnelle. Il n’est pas dans la démarche d’un Primo Levi qui écrit pour pointer un revolver sur la tempe de chaque Allemand.

« La blessure, on l’a reçue, maintenant on peut vivre la joie ». Cyrulnik évoque le rire, celui de Pérec et Topor. » Il faut transformer l’horreur en oeuvre d’art... »

 

Ce court séjour à Bordeaux m’a révélé une tâche sur l’honneur des Juristes.

 

On n’a guère entendu de protestation dans les Facultés de droit pendant la guerre. On sait ces professeurs profondément légalistes. Mais ils sont aussi les premiers à discuter les lois et n’hésitent pas à monter au créneau si nécessaire. La doctrine joue un rôle important en France.

La responsabilité de ces professeurs, de ceux qui ont écrit comme de ceux qui se sont tus, comme s’ils ne voyaient pas les lois publiées, est accablante. Les juges et les gendarmes ont appliqué les lois. Mais ils ne pouvaient pas tous prendre le maquis… Une petite réserve dans l’application du texte, c’était toujours ça de pris. L’un des procédés les plus efficaces de la résistance a été le noyautage de l’administration. Et faire son travail n’empêchait pas de préparer les terrains de la Libération.

 

A contrario, nombreux sont ceux qui ont choisi ouvertement de collaborer avec le régime de Vichy et n’ont pas été sanctionnés. Leurs noms figurent encore au fronton de plusieurs monuments  de Bordeaux.

Représentant le maire lors de la présentation à la presse de l'exposition "le Juif et la France" le 27 mars 1942, le futur Doyen Robert Poplawski avait déclaré : "dans l'enseignement les Juifs ont la place prépondérante... il y a là un problème social et national que je ne ménagerai pas".

Quant au Maire de l’époque, Adrien Marquet, son amitié avec Pierre Laval lui vaut, le 23 juin 1940, d'être nommé par le maréchal Pétain dernier ministre de l'intérieur de la Troisième République. Adrien Marquet déclare alors à la radio : « Nous sommes dans les décombres du régime capitaliste, libéral et parlementaire... Il faut concilier les points de vue allemand et français ; de cette collaboration dépend le retour à la vie normale. » Il est ainsi le premier homme politique français à parler de « collaboration »

 

Anecdote locale : lors de la campagne municipale de 2008 Alain Rousset avait symboliquement débaptisé la place Robert Poplawski connu pour son activité en faveur de Vichy et très favorable à la collaboration avec l’Allemagne pour l’attribuer à Joseph Benzacar. Tentative sans lendemain, la Droite ayant gagné les élections.

 Voulant en savoir plus sur cette « trahison des juristes » j’ai découvert avec tristesse que Maurice Duverger, professeur éminent de droit, à qui je dois ma réussite en première année de licence à Assas, faisait partie dans sa jeunesse d’un mouvement d’extrême droite.

 

Je quitte donc Bordeaux avec un sentiment mêlé. Le passé négrier, le passé colonial, le passé collaborationniste, sont profondément ancrés dans cette ville magnifique, combien de générations faudra t'il pour tourner la page ?

 

 

 

Annexe : Lettre de Joseph Benzacar à Adrien Marquet

 

 

Bordeaux, le 21 octobre 1940

 

 

Monsieur le Maire,

 

En exécution du Statut des Juifs en date du 18 octobre, j'ai été déchu sans sursis du mandat de Conseiller Municipal et, dans un délai de deux mois, du titre honorifique de membre du Corps enseignant.

 

Né à Bordeaux en 1862, étudiant, Avocat à la Cour, Professeur de la Faculté de Droit de Bordeaux  pendant plus de 35 ans, Adjoint au Maire de Bordeaux pendant plus de quinze années, je suis désormais classé parmi les citoyens à capacité réduite.

 

Vainement mon bisaïeul aura fixé son domicile à Bordeaux en 1781, tous ses enfants et descendants, dont mon grand-père, mon père, seront nés à Bordeaux en 1789, en 1826, seront décédés dans cette Ville, je suis devenu à 78 ans un Français de qualité inférieure. Au surplus, je ne réclame point l'octroi d'un relèvement d'incapacité prévu par l'article 8 du Statut. Je n'ai point rendu à l'Etat Français des services exceptionnels. Je me suis exclusivement efforcé de remplir mon devoir dans toutes les branches de mon activité.

 

Mes étudiants, mes condisciples, mes confrères, mes collègues, m'ont constamment témoigné leur estime, leur sympathie. Aujourd'hui, mon rôle social est achevé.

L'ancien Doyen du Conseil Municipal doit remplir un dernier acte : exprimer à tous les regrets de la rupture imprévisible d'une longue collaboration amicale.

 

           Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l'assurance de mes sentiments affectueusement respectueux

 

 

                                              signé: BENZACAR

 

 

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